TRENDS IN CONSUMER BEHAVIOUR | Herman Konings

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ROMPRE AVEC LE PRÉVISIBLE

Pour apprendre à mieux connaître la société et le consommateur de demain, mieux vaut casser le cercle de la fameuse pensée à 360o. Apprenez à réfléchir comme le faisaient les bâtisseurs de cathédrales et laissez-vous surprendre. Trois visions du chasseur de tendances Herman Konings pour affiner votre perspective.

Vous êtes chasseur de tendances. Comment abordez-vous le métier ? Comment mettez-vous le doigt sur les tendances de demain ?
HERMAN KONINGS : « Observer les tendances, les prédire, les analyser… des termes qui sont utilisés à tort et à raison, mais aussi à tort et à travers. Le trendwatching se subdivise en différentes disciplines. S’il y a bien une chose que je ne fais pas, c’est imiter mon collègue Tom Palmaerts qui observe les tendances sur la base de sous-cultures. On pourrait comparer Tom à un anthropologue qui observe, au sein de ces sous-cultures, les courants, les soubresauts sous-cutanés de la société qui pourraient devenir les normes de demain. Cette discipline demande souvent de partir à la recherche de symboles et la sémiotique joue notamment un rôle fondamental dans ce contexte. »
« Une autre manière de découvrir les tendances est d’organiser des études de marché. Je ne m’en sers cependant que pour étudier le présent et le passé. Nombreuses sont les études de marché qui s’intéressent à l’avenir et qui sont, dès lors, qualifiées d’annonciatrices de tendances, mais je ne crois nullement aux baromètres de tendances. Pourquoi ? La raison est simple : les individus sont certes sincères, mais ils sous-estiment dans leurs réponses l’influence des circonstances sur leur comportement. »
« Mais que faites-vous alors, me demanderez-vous ? Parallèlement à ma formation de psychologue théoricien, je me considère comme un psychologue du changement. Je cherche à comprendre ce que les gens font aujourd’hui différemment d’hier, ce qu’ils feront demain autrement qu’aujourd’hui. Ainsi que ce qui est à la base de ce changement. Comment les valeurs, les comportements, la consommation… changent-ils ? Je n’y cherche pas de réponses dans une boule de cristal. Je dialogue avec des sociologues, des psychologues, des anthropologues, des philosophes, des démographes, des historiens, des économistes… »

C’est donc une question d’écoute, d’observation et de lecture ?
HK : « Exactement. C’est surtout ‘astiquer les fenêtres et aspirer’ comme on dit : observer Windows (les fenêtres, les écrans) et absorber de la matière. Autre élément essentiel, au même titre que les contributions que nous fournissent nos collègues internationaux : les entretiens avec les décideurs, les scientifiques et autres leaders économiques. »

MARKETING DE L’ANTI-AUTHENTICITÉ

Quelles réponses vous ont-ils fournies ? Qu’est-ce qui nous attend ?
HK : « Je distingue trois tendances majeures. La première : l’importance du marketing de l’anti-authenticité. Nous nous demandions, il y a quelques années déjà, jusqu’où irait la tendance à la nostalgie. Le marketing de l’anti-authenticité ira encore plus loin en mettant notamment en lumière la culture du profit de la communauté hipster. »
« J’en ai assez vu de cette médiatisation de la Silicon Valley. Je ne vise pas par là toutes les possibilités qui y existent et l’improbable influence de firmes technologiques, mais bien l’adulation aveugle que l’on voue à ces geeks, nerds et hipsters qui peuplent ce petit monde. Ils ont connu la faillite des banques, il y a sept ans, ainsi que la crise économique et financière qui en a résulté. Tout le monde pointe encore un doigt accusateur vers les banques, ces profiteurs qui ne réfléchissent qu’à court terme.
Et qu’est-ce que je constate ? Que l’intérêt pour la culture à court terme est encore plus prononcé qu’il y a sept ans.
Il suffit pour cela de lire ‘Dit kan niet waar zijn’ (ça ne peut pas être vrai), le best-seller de Joris Luyendijk, fin 2015 élu livre le plus populaire aux Pays-Bas (récompensé par
le ‘NS Publieksprijs’). Petit aparté pour dire que nous sommes mordus d’histoires sur tout ce qui tourne mal dans cette culture du profit. Si vous voulez mon avis, je conseillerais volontiers à Luyendijk d’appliquer à la Silicon Valley la même méthode de recherche anthropologique que celle qu’il a utilisée pour descendre en flammes la City de Londres. Les start-up et jeunes entrepreneurs qui travaillent jour et nuit et sacrifient tout le reste (ce qui y est véritablement adulé) pour devenir la prochaine révélation sont légion. Tout le monde a pour objectif d’y établir une entreprise et de la revendre rapidement pour 10 millions. Une idée certes fantastique, mais surtout une réflexion à court terme. Leur but n’est pas d’exploiter leur passion et leur motivation, mais de revendre leur création le plus vite possible à un giga-système. La Silicon Valley se caractérise par une culture du profit dans laquelle la motivation est le symbole du dollar et pas une valeur comme la durabilité. »
« La culture hipster est aussi présente dans les villes et les nouveaux quartiers où des hommes barbus et vêtus d’un bonnet (même par 25 degrés en été) préparent des mets fantastiques, des constructions de céréales, des cafés et des cocktails spéciaux pour des sommes astronomiques. Le consommateur commence à se demander, dans pareils moments, si des termes comme ‘artisanal’, ‘vintage’, ‘manuel’, ‘conservé’, ‘disruptif’, ‘biologique’… ont encore un sens. Termes de marketing pur, les grandes multinationales s’en emparent et les recyclent. Il n’y a rien de mal à cela, mais le consommateur émet des doutes quant à la sincérité de ces mots. Ils perdent toute signification, deviennent une pure notion de marketing, une raison de réclamer plus d’argent. Dommage. Ce qui, à l’origine, visait à rendre le monde meilleur est désormais associé au profit à court terme. Je crois en la sincérité de la plupart des baristas et amateurs de restaurants ambulants, mais leur crédibilité est mise à mal par certains francs-tireurs. »
« Ce sont les enfants du millénaire, de jeunes gens, qui demandent à McDonald’s d’arrêter de vendre des salades estampillées ‘bio’. Je n’ai rien à reprocher à McDonald’s, mais il faut rester crédible et avouer que l’on est un producteur de plaisirs coupables. »
« Il en va de même pour la transparence. Combien d’entreprises ne s’en emparent-elles pas ? Il s’agit toutefois, dans de nombreux cas, d’un vain mot. Ne dites pas que vous êtes transparent, montrez-le dans ce que vous faites. Optez pour la transpérience : une transparence dont vous pouvez faire l’expérience, qui est réelle. »
« Cette dichotomie ne manque pas d’agacer la population du quartier huppé de Shoreditch, pour ainsi dire le quartier général des hipsters de Londres. Vous avez tôt fait de débourser 10 £ pour un sandwich hipster ou quelques malheureuses céréales. Ça a perdu toute crédibilité. Là aussi, le profit a fait son entrée. D’où le succès croissant d’un marketing critique : le marketing de l’anti-authenticité. »

"DES TERMES COMME « ARTISANAL », « VINTAGE », « MANUEL », « DISRUPTIF », « BIOLOGIQUE »… SIGNIFIENT-ILS ENCORE QUELQUE CHOSE ?"

"NE DITES PAS QUE VOUS ÊTES TRANSPARENT, MONTREZ-LE DANS CE QUE VOUS FAITES. OPTEZ POUR LA TRANSPÉRIENCE."

BRISER LE CERCLE : 361°

HK : « Apprendre à observer le monde avec un degré supplémentaire : une perspective à 361°. C’est la deuxième tendance. Ce degré qui vient s’ajouter à la perspective à 360° est le miroir dans lequel il faut regarder. C’est la petite voix au fond de vous qui vous dit : ‘pour chaque décision que tu prends aujourd’hui, essaie d’évaluer l’influence qu’elle aura sur l’avenir de tes enfants, de tes petits-enfants et de tes arrière-petits-enfants’. Si vous y parvenez, vous apprendrez à penser et à agir à long terme. Voilà ce dont a besoin le monde actuel. Et cela vaut aussi pour les spécialistes du marketing : descendez un peu de votre piédestal. »
« Des entreprises néerlandaises, comme Unilever et Honig, enjoignent à leurs hauts dirigeants d’appeler de parfaits inconnus une fois par an. C’est un peu le même principe que celui de l’émission Man Bijt Hond. Taille de l’échantillon : un. Et pour celui qui connaît les termes consacrés : N=1. Les managers demandent s’ils peuvent entrer, s’ils peuvent jeter un coup d’œil au contenu du frigo, s’attabler lors du repas pour écouter les sujets de conversation. Cela donne une profondeur toute particulière et du punch aux grandes études de marché qu’ils réalisent eux aussi. Cela apporte une dimension supplémentaire et plus de pertinence. »
« Un bon conseil : placez-vous au centre du cercle et abordez des gens qui ne font pas partie de votre groupe cible, des believers et des non-believers, des hommes et des femmes, des gens d’ici et d’ailleurs, des jeunes et des moins jeunes, des conformistes et des excentriques. »
« Nous avons besoin d’une réflexion comme au temps des cathédrales. Il a fallu 170 ans pour construire la cathédrale d’Anvers. Le maître d’ouvrage et le prélat qui confiaient l’ordre de mission et qui mettaient pour cela l’argent sur la table savaient que ni eux, ni leurs descendants ne verraient de leurs yeux l’inauguration de la cathédrale. Des entreprises de la sorte font envie. Certains travaillent d’ailleurs à des projets qui devraient être rentables à très long terme. Un magnifique exemple de petite cathédrale est l’ampoule développée par Jake Dyson, un éclairage LED à la durée de vie de 40 ans. Jake n’est autre que le fils de l’inventeur en série britannique James Dyson, célèbre notamment pour son aspirateur sans sac. »

"NOUS AVONS BESOIN D’UNE RÉFLEXION COMME AU TEMPS DES CATHÉDRALES : QUEL IMPACT ONT NOS DÉCISIONS SUR L’AVENIR ?"

LA CRAINTE DES ENFANTS DU MILLÉNAIRE : LA THAASOPHOBIE

HK : « Troisième tendance : l’importance de la surprise, de la sérendipité : la découverte de choses que l’on ne cherchait pas. Les mégatendances annoncées il y a des années ont maintenant trouvé leur contre-pied. La réaction qui s’oppose, par exemple, à la globalisation est l’attention portée à l’importance du local. Même les multinationales en tiennent compte. Cette mouvance n’est pas neuve. Une réaction similaire s’oppose aussi à la numérisation. Elle n’émane pas de baby-boomers nostalgiques, mais de vingt-trente ans, nés à l’heure du numérique. Ils accordent de plus en plus d’importance aux objets analogiques, ils sont en quête d’un équilibre en ‘phymérique’ : le physique et le numérique. Premier exemple : de nombreux jeunes créent aujourd’hui des produits artisanaux qu’ils commercialisent sur les applications. Deuxième exemple : le succès des vinyles. Ils se vendent quatre fois plus qu’il y a deux ans. Troisième exemple : ce ne sont plus des cinquantenaires, mais de jeunes adultes qui achètent les machines à coudre Singer. »
« L’e-commerce a le vent en poupe. Le peu de temps libre dont nous disposons nous pousse à acheter en ligne. Ce qui nous rassérène, tout en nous faisant gagner du temps. Qu’en dit IBM Research ? Que la vente en magasin l’emportera, d’ici cinq ans, sur la vente en ligne. Ce que nous ne pouvons qu’approuver, notamment parce qu’il faut considérer la tendance sous un angle démographique. D’ici cinq ans, ceux qui disposent à la fois du temps et de l’argent seront nombreux à partir à la retraite. Ils auront le temps de sortir et de faire les magasins, sans plus être pressés par cette urgence qui nous pousse à acheter en ligne. La technologie se mettra aussi au service de l’expérience en magasin : des cabines d’essayage équipées de matériel d’enregistrement numérique pour examiner sa nouvelle tenue sous toutes les coutures, ou encore le paiement sans carte. Dans un monde où la technologie est de plus en plus prédominante, dans l’Internet des objets, on veut pouvoir s’échapper et faire des expériences physiques. L’essence, c’est que l’on veut encore pouvoir être surpris, ce qui est de moins en moins le cas sur Internet. Il n’y en a que pour le big data et les algorithmes dans le marketing en ligne. Netflix, Spotify, Zalando… tous savent ce que vous voulez, ils connaissent votre comportement en matière de consommation et vous proposent des objets dans le prolongement de celui-ci. Leurs suggestions vous plaisent. C’est magnifique, mais cela ne se traduit que par un renforcement de vos goûts, sans aucune diversification. Aucune place n’est laissée à la surprise. Cliquez et l’on vous servira encore plus d’exhausteurs de goût – des propositions qui feront bien votre affaire. »
« Une phobie taraude les vingt-trente ans et les jeunes trentenaires : la thaasophobie. La crainte de la prédictibilité, d’être blasé. Alors qu’Internet leur procure de plus en plus de choses identiques, ils veulent des expériences auxquelles ils n’aspirent pas. Ils ne voyagent pas à Paris pour visiter le Louvre ou Montmartre, mais plutôt pour y louer un Airbnb et sortir avec les Parisiens. C’est le même sentiment que lorsqu’on entre dans un magasin, ce moment magique de trouver un objet dont vous tomberez instantanément amoureux. Quelque chose qui n’a plus rien à voir avec vos choix et goûts passés. Je ne veux pas tirer un trait sur le big data, mais bien rompre une lance pour la sérendipité. »

"ALORS QU’INTERNET NOUS PROCURE DE PLUS EN PLUS DE CHOSES IDENTIQUES, NOUS VOULONS DES EXPÉRIENCES AUXQUELLES NOUS N’ASPIRONS PAS."

 

HERMAN KONINGS : PORTRAIT

Herman Konings est titulaire d’une maîtrise en psychologie théorique (KU Leuven) et est gestionnaire du bureau d’études de tendances et d’avenir anversois Pocket Marketing/nXt. Analyste de tendances et psychologue du consommateur, il adresse aux entreprises, pouvoirs publics et au monde de l’enseignement supérieur des workshops et des conférences portant sur les tendances et les perspectives d’avenir. Konings est l’auteur de plusieurs best-sellers. « Futures », son ouvrage le plus récent, a été coécrit avec Tom Palmaerts et Joeri Van den Bergh.