TRENDS IN BRANDING | Sandy Thompson


93% des CEO/CMO pensent que la compréhension du consommateur doit être une priorité.
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L’ANNONCEUR, UN AUTHENTIQUE EXPLORATEUR

Si les marques veulent séduire des personnes réelles dans un monde réel, il convient, en tant qu’annonceur, de s’immerger dans le monde réel. Il faut voir de ses propres yeux le rôle que joue un produit dans la vie d’une personne lambda afin de saisir et de renforcer l’essence de la marque. Sandy Thompson a étudié le sujet et sillonné le monde afin d’illustrer ses propos.

À première vue, votre CV ressemble davantage à celui d’une aventurière ou d’une anthropologue qu’à celui d’une advertising strategist.

SANDY THOMPSON : « C’est vrai, car bien développer une marque est l’affaire d’authentiques explorateurs. Le marketing est submergé par la rhétorique. Les marketeers considèrent à l’excès les gens comme de simples ‘groupes cibles’ et comme des ‘consommateurs’. Ils en oublient trop souvent ce qui les motive et les inspire. La seule manière de le comprendre est de quitter son bureau, de sortir de son carcan et de partir à la rencontre de la population. Vous pouvez ainsi faire toute la lumière sur les raisons pour lesquelles les gens ont adopté leur mode de vie actuel et intégré certaines marques dans leur quotidien. Cette méthode de travail est, à mes yeux, bien plus efficace que donner 50 euros à des personnes choisies au hasard en
rue pour constituer des groupes de discussion destinés à récolter leurs opinions. Durant mes premières semaines de travail en Chine, j’ai passé un temps fou au sein de groupes de discussion sans pour autant comprendre ni même avoir de sympathie pour la manière dont vivent et travaillent les Chinois. Je savais que pour être une bonne marketing strategist, je
devais éprouver une passion pour leur culture, leur mode de vie et la manière dont ils font leur choix. Pour apprendre à connaître les Chinois en tant que personnes à part entière et pas
en tant que simples répondants, je devais voyager et me plonger dans leur univers. Une technique à laquelle j’ai donné un nom : eXploring. »

Cette technique a-t-elle porté ses fruits ?
ST : « Évidemment. Elle vous donne une idée des raisons sous-jacentes aux propos que tiennent les gens dans les groupes de discussion. Je ne dis pas que les participants mentent, mais ce qu’ils disent représente seulement la partie émergée d’une vie complexe que vous pouvez observer. Les groupes de discussion posent, en outre, toujours un problème : les participants veulent faire bonne figure et donner des réponses socialement acceptables. Comme je le dis toujours : si vous souhaitez en savoir plus sur ma relation avec mes enfants et sur mon attitude en tant que consommatrice de marques pour mes enfants et mon ménage, ne me demandez pas comment sont mes enfants. Je vous répondrais évidemment qu’ils sont parfaits. Passez plutôt un week-end avec moi. C’est la meilleure manière d’apprendre à nous connaître, mes enfants et moi, et de découvrir le rôle que jouent les marques dans nos vies. À la clé ? Des résultats de recherche bien plus percutants et pertinents. »

"SI VOUS VOULEZ SAVOIR QUI JE SUIS VRAIMENT, NE M’INTÉGREZ PAS DANS UN GROUPE DE DISCUSSION, MAIS PASSEZ UN WEEK-END AVEC MOI."

LE PLUS BEAU CÔTÉ DE LA FEMME

Vous évoquez le concept « celebrating women » dans la publicité. Nous devons « célébrer les femmes ». La gent masculine est-elle toujours aussi dominante ?
ST : « Je n’irais pas jusque-là et, en général, la publicité n’a rien de misogyne ou de sexiste. Les marketeers sont encore toutefois trop nombreux à penser que la publicité adressée aux femmes doit les rassurer et les réconforter. Pouvons-nous les aider à atteindre leur objectif ? Pouvons-nous les aider à s’apprécier ? Les femmes commencent doucement à se lasser de ce genre de publicité. Trop de marques vous lancent encore en plein visage que vous devez être bien dans votre peau et qu’elles sont là pour vous y aider. Si une marque pouvait réellement m’aider à me sentir mieux, à m’apprécier davantage physiquement, à rencontrer plus de succès… je vous garantis que j’en abuserais ! Mais soyons honnêtes : ce n’est pas la vocation d’une marque. Tant de femmes accomplissent des choses étonnantes. Les marketeers doivent cesser de considérer les femmes comme un ‘special project’. De nombreux clients viennent à ma rencontre et me demandent de leur imaginer une campagne adressée aux femmes qui fait ressortir le plus beau côté d’elles-mêmes. Ce n’est pas le rôle d’une marque. »

Les marques ne jouent aucun rôle émancipateur ?
ST : « Bien sûr que si. Je pense à la campagne Dove. Elle véhiculait un message très fort. Mais cette publicité n’a pas pour but d’émanciper la femme, mais de doper les ventes. Une marque doit s’interroger sur le rôle qu’elle joue dans la vie d’une femme et pas sur la manière de l’inciter à acheter davantage. Les marketeers doivent, quant à eux, se demander qui sont réellement les femmes et pas qui ils souhaiteraient qu’elles soient. »

Les marques ne devraient-elles pas miser davantage sur l’égalité des sexes ?
ST : « Les marques peuvent évidemment être neutres sur ce plan. De nombreuses recherches démontrent que les femmes souhaitent être traitées de la même manière que les hommes. Tout dépend naturellement du contexte et du produit. »

La femme est-elle encore trop souvent dépeinte comme un archétype ?
ST : « Oh my gosh… Voir que les femmes sont présentées comme des êtres parfaits qui allient sans peine leur carrière, leur ménage et leurs enfants me met vraiment hors de moi. Ou l’inverse : lorsque la marque considère les femmes comme de pauvres créatures sans défense, incapables de gérer leur ménage, leurs bambins ou leur boulot, et qu’elle leur propose la solution miracle. Cette image est tellement paternaliste. Les femmes veulent autre chose. Elles veulent voir la vérité, pas la perfection. Soyons honnêtes : la perfection, c’est ennuyeux. Les marketeers doivent présenter des femmes qui ont une profondeur d’âme et de l’humour. Au fond, des femmes qui donnent envie de mieux les connaître. »

"LA PERFECTION,  C'EST ENNUYEUX. LES MARKETEERS DOIVENT PRÉSENTER DES FEMMES QUI ONT UNE PROFONDEUR D'ÂME ET DE L'HUMOUR. AU FOND, DES FEMMES QUI DONNENT ENVIE DE MIEUX CONNAÎTRE."

LA TV DONNE L’EXEMPLE

Les hommes se déclinent, eux aussi, en divers clichés : un torse parfait, une voiture luxueuse, des poches sans fond… ?
ST : « Hahaha. Tout à fait vrai. Mais il est, à mes yeux, inutile de comparer l’homme et la femme. Les hommes jouent aujourd’hui un rôle fantastique. Ils contribuent au ménage et s’occupent des enfants. Je veux dire par là que tant les hommes que les femmes sont, en réalité, à mille lieues de la manière dont certains marketeers les cataloguent. Les consommateurs voient leur relation avec les marques comme un lien d’égal à égal, alors que certains marketeers semblent encore vivre dans les années 1990. Les marques devraient prendre exemple sur certains programmes télévisés. L’industrie du divertissement a fait un véritable bond en avant, ces dernières années. HBO et Netflix se positionnent en chefs de file avec des séries telles qu’Orange is the new black. Ces programmes passionnent les femmes, car elles s’y identifient. Les actrices de ces séries sont loin d’être des femmes parfaites, mais elles sont fascinantes. Les marques ont aussi l’occasion d’attirer l’attention, de donner du relief aux personnages, d’établir de véritables liens. Lorsque suffisamment de marques en seront conscientes, le monde publicitaire connaîtra un réel bouleversement. Et ce, tant pour les hommes que pour les femmes. »

"LES MARKETEERS CONSIDÈRENT À L’EXCÈS LES GENS COMME DE SIMPLES « GROUPES CIBLES » ET COMME DES « CONSOMMATEURS ». ILS EN OUBLIENT TROP SOUVENT CE QUI LES MOTIVE ET LES INSPIRE."

Qu’est-ce qui retient les annonceurs ? Le conservatisme ? Un manque de courage ?
ST : « Je n’oserais pas me prononcer. Nous nous raccrochons trop souvent à ce que nous connaissons, aux pratiques qui ont fait leurs preuves. L’objectif est de dynamiser vos marques et de ne pas les considérer comme statiques. Rien n’est plus ennuyeux que la prévisibilité. »

"L’OBJECTIF EST DE DYNAMISER VOS MARQUES. RIEN N’EST PLUS ENNUYEUX QUE LA PRÉVISIBILITÉ."

 

SANDY THOMPSON : PORTRAIT

Sandy Thompson est Global Planning Director chez Y&R. Elle est considérée comme l’une des stratèges les plus innovantes et compétentes de l’industrie publicitaire. Elle est principalement reconnue pour sa contribution au BrandAsset Valuator d’Y&R et pour sa technique d’exploration. Pour renforcer le lien entre la marque et le client, Thompson a habité dans des familles d’accueil en Chine, sillonné la Russie en train avec des jeunes, parcouru l’Arabie-Saoudite un foulard sur la tête, rénové des maisons au Canada, traversé l’Inde, le Japon et Singapour et a été concierge d’un hôtel, à Hong Kong.