TRENDS IN ADVERTISING| Thomas Kolster


95% estiment que la durablité est une nécessité dans une entreprise moderne
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LA DURABILITÉ VIENT DE MARS, LE MARKETING VIENT DE VÉNUS

À quel point la publicité peut-elle être durable ? Comment intégrer ce paramètre dans votre prix ? Quelle crédibilité ont encore la transparence et la durabilité ? Selon Thomas Kolster, il est grand temps de recourir à un autre fil conducteur pour lier le consommateur à une marque.

Vous plaidez en faveur du goodvertising. C’est d’ailleurs le titre de votre livre. Estimez-vous donc aussi qu’il y a trop de badvertising ?
THOMAS KOLSTER : « Les réactions des consommateurs sont tellement nombreuses – pensez aux logiciels anti-publicité – que c’est pratiquement inéluctable. On se plaint de plus en plus du ciblage et du reciblage sur les médias sociaux. Bon nombre des techniques utilisées par le secteur publicitaire ne cadrent plus avec l’univers des consommateurs. Mes propos relèvent du bon sens : si je veux suivre Barack Obama sur CNN, je n’ai aucune envie de voir des spots importuns sur des rasoirs ou des céréales. Selon moi, notre secteur est à ce point désespéré qu’il exploite les anciennes techniques jusqu’à l’irritation. Il ne s’agit peut-être pas de badvertising, mais il n’empêche que le monde a changé. Les annonceurs et le secteur publicitaire ne suivent pas le mouvement assez vite. Il en va de même pour les éditeurs, qui s’arrachent les cheveux pour maximiser les rentrées publicitaires. De nombreux facteurs entrent en jeu. »
« Il est intéressant de voir comment l’état d’esprit du consommateur transforme sa vision du monde. Je me suis récemment rendu en Biélorussie pour parler de la responsabilité sociétale des entreprises. Au début, je me suis dit qu’il était ridicule d’aborder ce sujet dans une quasi-dictature, mais au final, pas du tout : là-bas aussi, les gens se rendent compte que trop c’est trop et que les entreprises peuvent s’intéresser aux préoccupations des gens ordinaires et des consommateurs. C’est un phénomène mondial : les entreprises sont disposées à mieux écouter leurs clients. »

LE SHOPPING EST GUIDÉ PAR LES ÉMOTIONS

On joue alors la carte de la durabilité. Mais qui détermine ce qui est durable et ce qui ne l’est pas ? Qui plus est, se prétendre durable ne coûte rien : qu’en est-il dans les faits ?
TK : « La question est complexe et la frontière est ténue, je l’admets. Qu’est-ce qui est réel ou pas ? Est-ce dangereux ou pas ? Une Tesla est-elle durable ou non ? La nourriture bio est-elle meilleure ou pas ? Je porte moi-même toujours des vêtements noirs : ce n’est pas bien, car le processus de teinture des matières en noir est particulièrement polluant. Si vous vous préoccupez de l’environnement, vous ne devriez donc jamais porter de noir. Mais j’aime cette couleur… Quoi qu’il en soit, nous vivons une époque intéressante pour les marques. Je suis d’ailleurs actif au niveau de la World Federation of Advertising (WFA) et de son Project Reconnect. »

Project Reconnect, ça sonne bien. Mais comment regagner la confiance des consommateurs ?
TK : « Tout commence peut-être par une prise de conscience : votre produit n’est peut-être plus roi. Considérez les vrais gens, les consommateurs en chair et en os, comme votre cœur de métier. Faites preuve d’honnêteté et de transparence. Je crois que la publicité des années 1960 et 1970 s’attachait à informer les gens sur les qualités d’un produit. À l’époque, le grand David Ogilvy disait que le bon marketing était capable de mettre rapidement en échec les mauvais produ

its. C’est toujours le cas. »

Comment transposer ce principe dans des campagnes qui perdurent ?
TK : « Tout ne repose pas uniquement sur de bonnes campagnes. Il ne suffit pas d’améliorer son marketing ; il faut joindre le geste à la parole (walk the talk). Prenez McDonald’s. Ils essaient de proposer des menus plus sains et c’est une bonne chose. Ils laissent le choix aux gens. Idem pour Coca-Cola, qui propose des variantes plus saines au Coca-Cola classique. »

"TOUT NE REPOSE PAS UNIQUEMENT SUR DE BONNES CAMPAGNES. IL NE SUFFIT PAS D’AMÉLIORER SON MARKETING ; IL FAUT JOINDRE LE GESTE À LA PAROLE."

Si la durabilité joue un rôle pour les marques, et donc pour le marketing, ne faut-il pas revoir les arguments de vente ? Plus d’informations, moins de séduction creuse ?
TK : « Je ne crois pas vraiment en l’information comme stratégie de communication. Les gens ne fonctionnent pas comme ça. La plupart de nos décisions d’achat sont prises dans la partie la plus ancienne de notre cerveau: notre cerveau primitif, où il n’est pas encore question de langage. Quand nous faisons les courses, nous sommes guidés par nos émotions. Nous pensons être rationnels alors qu’il n’en est rien. On aura beau avancer mille et un motifs et arguments pour étayer une décision, au fond de nous, nous sommes des émotifs. Les arguments sont secondaires. Je constate, par contre, que les conversations et les aspirations changent. Une marque comme Chipotle l’a bien compris et met l’accent sur des ingrédients sains et sur le bien-être des animaux. Ce récit a vite fait de se distinguer positivement de celui des autres acteurs du secteur de la restauration rapide. C’est un sujet qui vous inspire, voire vous fait rêver : qu’adviendrait-il si nous prenions davantage soin de la planète ? Voilà en quoi consiste le goodvertising. Dans le cas de Chipotle, il s’agit d’une publicité qui vous pousse à aller voir plus loin et qui ne se limite pas à la sécurité alimentaire et au calcul des calories. Une publicité qui incite les gens à réfléchir à leur comportement. The Body Shop en offre un exemple un peu old-school. L’enseigne a, elle aussi, transposé son histoire au bien-être des animaux. »
« Il ne s’agit pas uniquement de goodvertising. Tout est question de durabilité d’un bout à l’autre du processus de production. Nous sommes face à un défi de taille : de nombreuses grandes marques auront peut-être disparu d’ici cinq à dix ans. L’âge moyen des entreprises du classement Fortune 500 était de 70 ans dans les années 1920. Aujourd’hui, il est de 14 ans et je ne serais pas étonné qu’il tombe à cinq ou sept ans. La durabilité joue un rôle majeur à cet égard : il s’agit de fabriquer des produits intelligemment et de positionner les marques sur le marché. »
« Le marketing repose bien sûr en grande partie sur le storytelling, mais on constate de plus en plus qu’une transparence attestée a un impact considérable sur le regard que les consommateurs posent sur vous. »

"NOUS SOMMES FACE À UN DÉFI DE TAILLE : DE NOMBREUSES GRANDES MARQUES AURONT PEUT-ÊTRE DISPARU D’ICI CINQ À DIX ANS."

Les gens sont-ils prêts à mettre davantage la main au portefeuille quand ils savent que quelque chose est durable ?
TK : « Voilà une question bizarre. Notre secteur n’a-t-il pas pour unique objectif d’inciter les gens à payer plus pour ce qu’ils achètent ? Prenez votre tasse de café. Combien coûte-t-elle réellement et combien l’avez-vous payée ? La durabilité est assurément un élément à inclure dans le prix. Elle démontre que vous vous faites du souci, que vous êtes honnête. »
« J’ai une métaphore qui a du succès dans les congrès consacrés à la durabilité : la durabilité vient de Mars, le marketing vient de Vénus. Celui qui parle de durabilité est un scientifique qui traduit le monde en statistiques… Le marketing n’y consacre quant à lui pas de temps : dans cet univers, tout repose sur les émotions. Ce principe relativement complexe est à l’origine du fait que de nombreuses entreprises sont accusées d’écoblanchiment – ou greenwashing. On les accuse d’abuser des arguments environnementaux. »

UN PROGRAMME INFORMATIQUE POUR L’AMOUR

Le contenu personnalisé offre-t-il un meilleur support que la publicité classique à ce type de messages ?
TK : « Le native advertising constitue une nouveauté intéressante, mais je ne suis pas certain que le consommateur l’adoptera. Un problème pour les annonceurs et les éditeurs… Si les gens disent ‘non’ à la publicité, pourquoi essayer d’entrer par la fenêtre ? »

"SI LES GENS DISENT « NON » À LA PUBLICITÉ, POURQUOI ESSAYER D’ENTRER PAR LA FENÊTRE VIA LE NATIVE ADVERTISING ?"

Parce qu’il ne s’agit pas de publicité, mais bien d’informations pertinentes ?
TK : « Permettez-moi d’en douter. Je crois que notre secteur fait face à un défi et que nous devons rapidement trouver une vraie solution. Les changements sont tellement nombreux… Et tout ne fonctionne pas toujours correctement. Si j’envoie, par exemple, une réclamation au fabricant X, je recevrai très certainement une réponse automatique me remerciant pour mon enthousiasme. Or je suis mécontent ! Les marketeers expérimentent sur un tas de fronts, mais bon nombre d’initiatives génèrent davantage d’agacement qu’elles n’apportent de solutions. Le programmatique pose le même problème. Selon moi, il est même dangereux pour les marques. En marketing, tout s’articule autour des relations et des connexions – vous ne laisseriez pas un programme informatique diriger votre relation amoureuse, non ? Nous devons dépoussiérer quelques principes de base : un service efficace, un juste prix, le lien avec la marque… »
« Les gens aspirent à nouveau au petit magasin de proximité, où un vendeur ou une vendeuse sait ce qu’il ou elle vend et donne des conseils. Je vous le garantis : même à l’ère de l’e-commerce, cet aspect local refera surface. »

"LES MARKETEERS EXPÉRIMENTENT SUR UN TAS DE FRONTS, MAIS BON NOMBRE D’INITIATIVES GÉNÈRENT DAVANTAGE D’AGACEMENT QU’ELLES N’APPORTENT DE SOLUTIONS."

 

THOMAS KOLSTER : PORTRAIT

Avec son agence « Goodvertising Agency », l’ancien publicitaire Thomas Kolster aide les entreprises à adopter une communication durable. Il a créé la première plate-forme du monde où les utilisateurs peuvent partager leurs meilleures pratiques en matière d’initiatives durables : wheregoodgrows.com. D’origine danoise, Kolster écrit des chroniques pour The Guardian et d’autres magazines. Il intervient lors d’événements tels que SXSW & Sustainable Brands. Souvent sollicité pour faire partie du jury de remises de prix internationaux, il est également l’auteur du livre « Goodvertising ».